Comme d'autres objets théoriques, l'espace est une invention dont l'archéologie du sçavoir montre aisément la date récente et, peut-être, diront d'aucuns, la fin prochaine (1).
Dans le cadre du monde antique, le terme d'espace ne peut s'employer au singulier que si l'on sous-entend la pluralité des espaces parcourus par les mobiles en telles conditions. C'est à ce titre qu'il figure au Livre VI de la Physique d'Aristote (mêkos, pl. mêkê). Il n'y a d'espace que comme singulatif d'un pluriel présupposé. Cet « espace » antique désigne une grandeur continue susceptible d'être parcourue, en un temps fini, en vertu même de sa continuité ; celle-ci, comme établit le Livre III de la Physique, doit s'entendre au sens d'un infini en puissance, non d'un infini actuel. L'espace, entendu au sens d'un contenant qui enveloppe les substances individuelles, est étranger à la pensée antique, comme elle l'est à la pratique de ses peintres.
Sans doute, comme souligne Erwin Panofsky, dans l'ouvrage fondamental qui inspire cette étude, « à Rome et en Campanie, nous trouvons des vues d'intérieur, des paysages et des vues de villes très élaborés qui nous mettent sans aucun doute en face d'un « espace apparemment tridimensionnel qui semble s'étendre indéfiniment derrière la surface peinte objectivement bidimensionnelle » ; et dans un exemple au moins, les célèbres Paysages de l'Odyssée de la Bibliothèque du Vatican, la comparaison d'Alberti concernant la fenêtre a été devancée concrètement puisqu'une étendue continue de paysage est vue dans un encadrement de pilastres simulés. » (2).
« Pourtant, précise l'historien, — et c'est pourquoi, souligne-t-il, nous ne pouvons être trop prudents en ce qui concerne les réserves à faire lorsque nous transplantons un terme comme Impressionnisme d'un contexte historique dans un autre — le style des Paysages de l'Odyssée et d'autres œuvres semblables est fondamentalement différent de celui de Manet, Monet ou Signac. Au lieu de donner l'impression d'un monde stable et cohérent, qui frémit et vibre selon la manière dont il est « vu », ils donnent l'impression d'un monde instable et incohérent en lui-même. Des rochers, des arbres, des bateaux et de minuscules silhouettes sont répartis avec aisance sur de vastes surfaces de terre ou de mer ; mais l'espace et les objets ne se fondent pas en un tout unifié et l'espace ne semble pas s'étendre au-delà de la portée de notre vision. La taille, le volume et la couleur des objets changent suivant la distance et l'action de la lumière et de l'atmosphère ; mais ces changements ne peuvent s'exprimer en termes de relations constantes. Les « orthogonales » (c'est-à-dire les lignes parallèles dirigées vers le lointain) « convergent » ; mais elles ne convergent presque jamais en un seul point et font souvent un dessin en forme de squelette de poisson plutôt que ce que les mathématiciens appellent un « faisceau ». Il y a, comme nous l'avons dit, des réfractions, des reflets et des ombres portées mais rien qui ressemble à une lumière unifiée. Il en résulte que l'ensemble a une qualité irréelle, presque spectrale, comme si l'espace extra-corporel ne pouvait s'affirmer qu'aux dépens des corps solides et, semblable à un vampire, se nourrir de leur substance même. » (3).
« En bref, conclut l'historien, l'espace présupposé et présenté dans les peintures hellénistiques et romaines manque des deux qualités qui caractérisent l'espace présupposé et présenté dans l'art « moderne » jusqu'à la venue de Picasso : la continuité (d'où la mesurabilité) et l'impression d'infini. Il était conçu comme un agrégat ou un ensemble composite de corps solides et vides, tous limités, et non comme un système homogène au sein duquel chaque point, indépendamment du fait qu'il se trouve situé dans un solide ou dans un vide, est uniquement déterminé par trois coordonnées perpendiculaires les unes aux autres et s'étendant ad infinitum à partir d'un « point d'origine » donné. » (4).
Bref, dans ce que la peinture hellénistique et romaine nous permet de comprendre de ce qu'était la perception qu'avait le monde antique du champ de son expérience, cette perception ne lui représentait pas ce champ d'expérience sous la forme de ce que nous appelons, aujourd'hui, un espace.
La question est donc de savoir à quelle époque, dans quelles conditions historiques, et, sans doute aussi, en quels endroits géographiques, la perception du champ de l'expérience a revêtu, pour la première fois, la forme d'un espace.
Or, dans les conditions de l'histoire de la peinture, la réponse à cette question n'est pas difficile à trouver : il s'agit, à n'en pas douter, des conditions d'une Italie centrale s'articulant autour de Florence, de Sienne et de Rome, au cours d'une époque qui s'étend, dans ses premières prémices, de 1270 environ, jusqu'aux alentours des années 1340. Les conditions historiques de la représentation picturale de l'époque circonscrite témoignent, d'une manière parfaitement reconnaissable, de la production de l'objet théorique inédit dont nous cherchons à établir la genèse.
Sans doute, des différences techniques et stylistiques considérables séparent la pratique des écoles qui virent s'épanouir des personnalités artistiques aussi différentes que Giotto, Duccio ou Cavallini. « Cependant, fait observer Panofsky, les méthodes opposées employées par Duccio et Giotto pour tenter de résoudre leurs problèmes ne peuvent nous dissimuler le fait qu'il s'agissait du même problème, et jettent au contraire dessus une lumière particulièrement intense : le problème de la création de ce que nous avons l'habitude d'appeler « l'espace d'un tableau ». Et ce problème, poursuit l'historien, était si nouveau — ou plutôt il avait été si complètement absent, pendant tant de siècles, de la scène européenne occidentale — que ceux qui les premiers l'ont à nouveau soulevé méritent encore le titre de « pères de la peinture moderne ». » (5).


L'espace pictural dont il est ici question n'est pas, à l'origine, l'espace où se déploie une perception, encore moins un espace perçu, mais la surface où s'inscrivent les traces d'une représentation qu'il serait anachronique de s'imaginer sous la forme d'une perception. Si étrange qu'il nous puisse apparaître que la notion de représentation soit pensée autrement que sur le modèle d'une perception, l'histoire de la peinture occidentale, et peut-être elle seule, a connu une époque où les deux notions de représentation et de perception demeuraient radicalement dissociées. Le champ où se déploie la représentation, dans la peinture médiévale occidentale, n'ouvre pas l'espace d'une perception, mais se clôt sur la surface d'une inscription.
La sculpture de l'époque romane a connu ce que Panofsky appelle une « consolidation de masse » : « Alors que la métope classique, écrit-il, la statue de niche ou la caryatide sont soit une adjonction soit une insertion, le relief roman, la statue de pied-droit, la figure d'archivolte ou le chapiteau historié semblent avoir pris naissance directement dans le mur, l'embrasure, les archivoltes ou les chapiteaux. » (6).
Parallèlement, la peinture de cette époque a connu ce qui est appelé une « consolidation de surface » : « Cette « consolidation de masse » en sculpture et en architecture a, en peinture, un parallèle que l'on peut appeler la « consolidation de surface » ; ce processus s'observe pour ainsi dire in vitro lorsque l'on compare le Psautier d'Utrecht, exécuté à Hautvillers près de Reims entre 820 et 830, avec une copie — ou plutôt la dernière de trois transformations successives — de ce même psautier qui a été réalisée à la fin du douzième siècle (7). Les dessins carolingiens à la plume et sans cadre, dont la composition lâche et le traitement imprécis donnaient justement une impression d'espace aéré, sont transformés en miniatures aux pigments opaques entourées par une bordure qui délimite strictement la surface de travail. Les figures, réduites en nombre mais de taille plus grande, ont une apparence plus substantielle et des poses plus étudiées. Le feuillage des arbres qui ressemblait à des plumes est condensé en formes bien définies qui ne sont pas sans évoquer des fleurs ou des champignons ; de même les édifices, qui n'aspirent plus à un style classicisant, semblent avoir gagné en poids et en solidité. Les traits de plume impétueux et les lavis ont fait place à des contours fermes et incisifs. En bref, le fond s'est concrétisé en une surface de travail solide et plane tandis que le dessin s'est concrétisé en un système de surfaces bidimensionnelles définies par des lignes unidimensionnelles. (...) Ainsi, pour la première fois dans l'histoire de l'art occidental, une consubstantialité a été établie entre les objets solides (figures ou choses) et leur environnement. » (8).
Et bien que la sculpture de l'époque gothique eût « brisé l'emprise de la masse » (9), « le contenu spatial du relief gothique, quelle que soit la liberté dont jouissent ses composants, ne dépasse pas le volume défini par le bloc de pierre ou de bois dans lequel il a été sculpté. La statue ne peut exister sans un dais ou un tabernacle au-dessus de sa tête, et une plinthe ou une console sous ses pieds, ce qui fournit à la figure un Lebensraum, mais la confine quand même à l'intérieur des limites précises de la structure dans son ensemble. Dans le relief, la scène est généralement surmontée par une série d'arcatures ou un bandeau de nuages conventionnalisés qui, comme une cantonnière, détermine le plan frontal d'une tribune tridimensionnelle, mais, ce faisant, limite la profondeur idéale de cette tribune à la distance réelle existant entre le plan frontal et le fond, c'est-à-dire l'épaisseur réelle du bloc original. » (10).
Parallèlement, la peinture de l'époque gothique recourt à des procédés équivalents : « Nous trouvons souvent des procédés d'encadrement analogues à ceux employés dans les reliefs (11) et, en l'absence de semblables procédés, un champ d'action tridimensionnel est assuré aux figures par un nouveau traitement du fond : on a tendance à le distinguer de ce qui est « devant » lui, tout d'abord par l'emploi de la poudre d'or pour laquelle le style roman avait une certaine aversion (ce n'est pas sans raison que le style d'enluminure du treizième siècle a été appelé le « style à fonds d'or ») ; et, plus tard, par l'introduction de petits dessins recouvrant tout le fond (rinceaux, gaufrage, jeu de damiers et autres motifs semblables) qui donnent l'impression d'une tapisserie tendue derrière les figures plutôt que d'un mur massif entourant le groupe. Mais ici comme dans le relief, l'espace dont elles disposent est limité à ce que l'on peut appeler « un bloc de volume » défini par un plan frontal et un arrière-plan qui, bien que repoussé en arrière, reste impénétrable et est toujours conçu comme une surface de travail matérielle. L'action, s'il y en a une, se déroule dans une direction parallèle à la fois au plan frontal et à l'arrière-plan, elle traverse notre champ d'observation plutôt que d'avancer et de reculer à l'intérieur de celui-ci ; et, fait encore plus important, les figures et les choses, dont la taille n'est pas influencée par la distance, continuent à être disposées sur une ligne horizontale, qui traverse réellement le tableau de gauche à droite, au lieu d'être distribuées sur un plan horizontal qui semble reculer en profondeur. » (12).
Ainsi, le principe de « consolidation de masse » et le principe de « consolidation de surface » définissent un mode de représentation caractéristique, l'un, de la sculpture, l'autre, de la peinture de l'époque romane et de l'époque gothique : « Le style gothique à son apogée n'a jamais abrogé les principes complémentaires de « consolidation de masse » et de « consolidation de surface » et il nous est facile de voir que l'espace « moderne », c'est-à-dire continu et infini, ne pouvait voir le jour que lorsque le sentiment médiéval de solidité et de cohérence, nourri par l'architecture et la sculpture, commença à se fondre avec le peu qui, au cours des siècles, avait été préservé de la tradition illusionniste établie par la peinture gréco-romaine. Cette fusion eut lieu, et ne pouvait avoir lieu, que dans l'Italie de Cavallini, Duccio et Giotto. » (13). Elle ne pouvait avoir lieu qu'en Italie centrale parce qu'en Italie centrale seulement étaient réunies les conditions qui rendent possible, historiquement, la superposition de la notion de perception à celle de représentation. L'espace moderne désigne l'élément où devait s'opérer cette superposition.


La peinture médiévale est une représentation qui ne se confond pas avec une perception et ne prétend pas se donner pour une perception. La peinture antique est pure perception, qui ne cherche pas à se donner les lois qui fissent d'elle une représentation. Raison pour laquelle elle a, elle aussi, historiquement, ignoré l'espace, au sens moderne, bien qu'elle en fournisse un simulacre. La projection sphérique est pure perception, dépourvue de toute considération représentative ou constructive. La peinture médiévale, au contraire, construit ses objets d'après des lois immanentes, qui sont indépendantes de celles de la perception. C'est pourquoi elle est représentation pure, non mêlée de vécu perceptif. Dans tous les cas, l'objet produit par le peintre nous apparaît comme une idéalité, mais dont le statut est fort différent d'une époque à l'autre. Concrétitude pure d'un vécu dans l'art antique, elle devient abstraction pure au moyen âge, alors que l'évolution qui s'annonce avec les grands initiateurs du Trecento aura pour effet de transférer l'abstraction au milieu, c'est-à-dire à l'espace, qui est le lieu de l'abstraction, mais pour peupler celui-ci de figures vivantes et individuelles.
Nous ne voyons, là, nul progrès, mais enfoncement en une esthétique proto-bourgeoise du familier et de l'écriture figurative (14), s'adressant à un observateur inapte à l'intuition intellectuelle (15). Si la peinture antique est intuition sans concepts, la peinture romane et gothique est l'acte d'une âme intellective, comme l'écriture figurative inaugurée au Trecento est l'application d'un concept, qui retient, de l'intuition intellectuelle, sa forme intellective, à une intuition sensible présentée, sur un mode paradoxal, comme antérieure à l'expérience, donc antérieure à la construction conceptuelle qui lui donne sa forme logique.
En suivant l'histoire de la peinture entre 1270 et 1340 environ, on peut suivre les étapes successives de ce que d'aucuns se plaisent à appeler la « conquête » de l'espace pictural moderne, en d'autres termes, la soumission de la construction de la représentation, héritière des exigences médiévales, aux exigences de la visibilité, soit d'une conformité de ce qui se représente dans la peinture à ce qui « se voit » dans la perception visuelle. La représentation picturale emprunte le modèle de la perception naturelle, la Perspectiva naturalis devient Perspectiva artificialis, la science géométrique de la vision, prescription pour la production de l'œuvre.
« Le style byzantinisant ou, si l'on peut dire, néo-paléo-chrétien de l'Italie du treizième siècle ne refusa pas de se fondre avec le gothique. Ainsi, les disiecta membra de la perspective classique, que la peinture italienne du Dugento avait conservés ou fait revivre, purent être soumis à la discipline unificatrice de ces mêmes principes de consolidation de masse et consolidation de surface qui avaient fait disparaître la perspective dans le Nord. Et c'est ainsi que le concept « moderne » d'espace vit le jour. » (16).
Deux épisodes des mosaïques du Baptistère San Giovanni, qui dateraient des environs de 1270, peuvent servir d'illustration à l'utilisation que fait la peinture florentine des éléments architecturaux pour remplir la surface picturale. Dans la Nativité, on discerne, sur la gauche, un battant de porte dont le bord supérieur est représenté en raccourci, mais non le reste ; dans l'Adoration des Mages, le tempietto ou baldacchino qu'on doit se représenter comme encadrant les personnages se présente, au contraire, derrière eux, la cathèdre est représentée devant l'édicule qui doit la contenir, le toit de ce dernier est, partie, en raccourci frontal, partie, en raccourci fuyant latéralement, sans souci d'unification ; dans les deux épisodes, les groupes de personnage sont librement distribués sur la surface peinte, sans que soit unifié un « espace » sur lequel il est, pourtant, suggéré que s'ouvrent les colonnes qui encadrent la scène. « Aucun de ces cadres, cependant, fait observer Panofsky au sujet d'un autre épisode, ainsi que de deux mosaïques de Monreale, antérieures de près d'un siècle, n'est conçu comme un tout unifié, encore moins en intérieur rationnellement construit. Le Rêve de Pharaon a un plafond vu en raccourci mais ni murs latéraux ni sol ; la Cène a des murs latéraux qui semblent reculer mais ni sol ni plafond ; dans la Guérison du Paralytique enfin, le carrelage qui semble reculer s'interrompt brusquement devant la façade non vue en raccourci d'un édifice. » (17). Dans l'Annonciation de l'Anonyme siennois, datée vers 1280, les personnages s'inscrivent dans un cadre architectural, mais qui apparaît comme une simple toile de fond sans que soient exprimées des relations spatiales mesurables entre les personnages et le fond. Dans la Délivrance de saint Pierre du même polyptyque, les personnages apparaissent comme disproportionnés par rapport aux éléments architecturaux qui les encadrent et, pour partie, les renferment ; la relation spatiale entre les personnages et les édifices demeure indécise et celle qu'entretiennent ces derniers entre eux pourraient suggérer qu'il s'agit de deux représentations juxtaposées d'un seul et même édifice représenté, simultanément, en vue frontale et en vue latérale, sans recours au raccourci et sans que leur relation soit précisée. Le Martyre de saint Pierre de ce même polyptique présente des personnages disproportionnés par rapport aux éléments architecturaux ou, plus exactement, dont les relations spatiales avec ces éléments ne sont pas interrogées, ni thématisées comme construisant un espace unifié. Les personnages sont placés simplement devant les architectures, au lieu d'être situés par elles. La Décollation de saint Jean du polyptyque d'un autre Anonyme siennois, daté vers 1270, présente des éléments architecturaux en raccourci et même en vue oblique, mais ces édifices sont surmontés de tourelles et de coupoles dont les relations avec leur base se laisse maladroitement déterminer et dont les raccourcis, lorsqu'il y en a, ne sont pas cohérents avec ceux des édifices eux-mêmes. La Danse de Salomé du même polyptique présente un fond représentant un édifice en vue frontale à pan latéral fuyant, selon une formule que le Trecento rendra commune, surmonté de plusieurs tourelles, sont les raccourcis ne sont pas cohérents entre eux et dont l'élément central est représenté en perspective oblique divergente. L'Assomption de saint Jean de ce polyptyque présente un mur en vue frontale au toit en raccourci indécis surmonté de coupoles dont les « erreurs » de perspective rappellent la miniature carolingienne. La Descente aux Limbes est à confronter avec le même épisode traité par Duccio, entre 1308 et 1311, pour mesurer le chemin accompli.
« Lorsque nous pénétrons dans le monde de Duccio et de Giotto, écrira Panofsky, nous avons l'impression de quitter un bateau et de mettre pied sur la terre ferme. Les cadres architecturaux (et ce qui s'applique à eux s'applique mutatis mutandis aux paysages) donnent une impression de cohérence et de stabilité jamais encore atteintes, même dans la peinture hellénistique ou dans la peinture romaine. Dans la Maestà de Duccio (exécutée entre 1308 et 1311), dans les fresques de Giotto à la Chapelle de l'Arena de Padoue (vers 1305) et, sous forme d'essais encore, dans certaines des Scènes de l'Ancien Testament de l'église supérieure d'Assise (attribuées autrefois à un grand Anonyme, le « Maître d'Isaac », mais que l'on tend maintenant à considérer comme des œuvres de jeunesse de Giotto lui-même, nous rencontrons même des intérieurs parfaitement cohérents semblables à des boîtes et dont le plafond, le carrelage et les murs latéraux sont « convenablement ajustés les uns aux autres », comme dirait l'Apôtre : des intérieurs qui s'étendent de manière mesurable derrière une surface picturale clairement définie et à l'intérieur desquels un volume bien défini est accordé à chaque solide et à chaque vide. C'est ici, donc, que nous assistons à la naissance de « l'espace moderne ». » (18).

Des objets aussi familiers que « l'espace » ont une origine historiquement déterminable et ne se laissent concevoir sans les conditions historiques qui les produisent.


(1) Cette fin nous paraît déjà advenue dans la construction synthétique d'un espace qui ne se confond plus avec celui de la perception dans le Lac d'Annecy de Cézanne, qui date de 1896.
(2) La Renaissance et ses avant-courriers dans l'art occidental, traduction française, p. 129.
(3) Op. cit., p. 129-130.
(4) Ibid.
(5) Op. cit., p. 128.
(6) Op. cit., p. 136.
(7) B. N., ms lat. 8.846 (Note de M. Erwin Panofsky).
(8) Op. cit., ibid.
(9) Op. cit., p. 137.
(10) Ibid.
(11) B. N., ms lat. 10.525 (Note de M. Erwin Panofsky).
(12) Ibid.
(13) Op. cit., p. 138.
(14) Nous empruntons cette expression à Pierre Francastel, La Figure et le Lieu, Paris, 1965.
(15) Il est significatif que M. Francastel formule des doutes quant à la « lisibilité » de l'art du vitrail. Inapte à l'intuition intellectuelle et privé d'âme intellective, ne concevant d'entendement que discursif et de narration que sur un mode qui s'inspire d'un modèle littéraire, la forme plastique devenant un simple cadre pour une action qui trouve sa justification en un domaine extra-pictural.
(16) Panofsky, op. cit., p. 139.
(17) Op. cit., p. 139-140.
(18) Ibid.